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lundi 2 octobre 2017

Deux attentes


La première attente pour la première adoption, elle est venue comme un immense espoir après les terribles attentes de l'infertilité. L'attente de tous les mois à serrer les fesses, l'attente dans le couloir de l’hôpital, l'attente avec les pieds dans les étriers.

Du coup, au début, on la trouve super sympa, cette nouvelle attente. Un monde s'ouvre à nous : tant à lire, tant à découvrir, tous ces gens à rencontrer, toutes ces discussions à avoir ! Et puis on est en 2008-2009, l'adoption internationale est en perte de vitesse mais il y a des procédures qui vont relativement vite encore. On sait, on sent, que si on est motivés, on va y arriver. De toute façon, on est totalement incapables de s'imaginer sans enfants, alors faut que ça marche, non ?

De fait, on trouve le chemin rapidement. Trois mois après l'agrément, un organisme nous dit oui, nous allons vous confier un enfant. On entre dans le concret : un pays, une procédure, des délais, on commence à voir où on va. Alors on attend dans la joie. On tricote des trucs, on ouvre un blog et on achète des clipos dans les vide-greniers. Tout est fun, c'est l'aventure. Il faut faire légaliser, surlégaliser, tamponner, c'est trop cool ce papier qui s'amoncelle, on va quelque part, on y croit boudiou !

Lorsqu'on reçoit le coup de fil magique, et très vite le dossier et la photo, ça devient à la fois plus passionnant et plus angoissant. On peut se poser trois mille nouvelles questions, projeter à fond et flipper un peu. On commence à acheter des habits, des objets du quotidien. On repeint les murs, on choisit le tapis, on fait la place, et on compte les jours sur le calendrier...

Et puis un jour l'organisme appelle pour dire que la procédure est bloquée. Qu'une personne qui est contre l'adoption internationale fait un barrage administratif dont on ne comprend pas bien les tenants et les aboutissants. Qu'ils font tout ce qu'ils peuvent et qu'on ne faut pas leur mettre des bâtons dans les roues par des protestations. Qu'il est inutile d'appeler, ils nous appellerons à la minute où ils ont du nouveau. Et là on réalise qu'on est toujours aussi impuissant devant des enjeux politiques qui nous dépassent. Et l'attente devient torture... plus de délai, plus même de certitude. Les habits deviennent trop petits, le nouveau tapis prend la poussière et on ne vit plus... jusqu'à la levée du blocage.

Cette attente (ou plutôt série d'attentes) a bien fini, mais elle nous a marqués. On réfléchit bien avant de se relancer, et quand on est surs de nous, on y va, en se disant bien que cette fois, on ne se laissera pas bouffer par l'attente, on se protègera et on protègera notre grand.

La deuxième attente est plus sournoise. On est déjà parent, ça nous prend moins aux tripes. Bien sûr, on aimerait très fort agrandir la famille, mais on sent qu'on est déjà une famille et on peut se projeter tous les trois. On est bien entendu très occupés avec le grand qui prend sa place et plus encore. On court de sport en musique en réunion de parents d'élèves, on achète des casseroles plus grandes et tous les habits commencent à prendre de la place dans le sous-sol.

On est en 2014, et les statistiques de l'adoption internationale commencent à approcher de très près les pâquerettes. En plus avec quelques années de plus et un enfant, on est de moins en moins prioritaires. On attend assez paisiblement, au refrain de "que sera sera".

On a déjà l'expérience. Il y a toujours des choses à préparer mais on a moins à découvrir. On a déjà lu tout Chicoine, tout Lemieux. On est devenu pro des papiers. On connaît l'employée de mairie qu'est pas godiche, les onglets du trieur sont déjà marqués, on numérise tout, on affranchit en ligne. Le grand dit qu'il voudrait bien des tas de frères et de sœurs, nous on dit que deux enfants ce sera déjà bien. Mais aucun chemin ne s'ouvre à nous.

Et un beau jour de 2016, on gagne au loto. Oui, ça fait bizarre, hein, mais c'est vraiment ça : on est tirés au sort par l'AFA. Deux ans et demi après le début, on retrouve un chemin, et un qui nous parle beaucoup. On entre à nouveau dans l'attente pleine d'espoirs, mais échaudés par les mésaventures -- les nôtres et celles d'autres. On attend sans y penser tous les jours mais notre cœur bondit dès qu'on entend parler du pays aux informations.

On attend sans attendre, on se prépare sans y croire tout à fait. Le grand dit que finalement il est OK pour un frère, mais une sœur hors de question, il ne jouera pas aux petits poneys. Le temps passe vite et on se refuse à mettre des échéances, mais quand même, plus de la moitié de notre agrément est déjà écoulée.

On attend et on sait que le jour où on recevra ce coup de fil -- s'il finit vraiment par arriver -- on s'engagera pour l'autre attente, celle avec la photo. Celle qui est tellement angoissante, celle où l'enfant grandit sur les photos, où on lira dans ses yeux qu'il ne comprend pas, qu'il n'y croit pas vraiment, et où on ne pourra rien faire pour lui, sinon repeindre sans chambre et choisir le tapis. Du coup on oscille : on veut que cette attente prenne fin, mais surtout la suivante ! Mais on ne veut pas non plus que le grand grandisse trop vite, quoi, le collège l'an prochain, déjà ?

Un jour on a mal au dos, au cou. On ne peut plus se tourner pour regarder la pendule devant la table du petit déjeuner. Ou on ne veut plus ? Le kiné dit : vous n'auriez pas des blocages en ce moment dans votre vie... ?

Alors on se lance dans la méditation on reprend le taïchi et... on va témoigner !

Mitzie

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