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lundi 5 mars 2018

Mythes et tabous de l'adoption 3 : Les enfants sont formidables, ils s’adaptent si vite !



« Les enfants sont formidables, ils s’adaptent si vite ! »

C’est vrai que les enfants sont formidables, et surtout nos enfants adoptés, qui sont des survivants, des guerriers. Bon, en même temps, ils n’ont pas trop le choix, hein ?


Au bout de deux heures, ils ont investi toutes les pièces de la maison. Au bout de deux jours, ils répondent à leur nouveau prénom. Au bout de deux semaines, ils papotent avec les copains sans complexe. Au bout de six mois, personne ne peut croire qu’ils ne parlaient pas un mot de français six mois auparavant.

Ils s’adaptent tellement bien qu’on pourrait être tenté de prendre un rythme « normal » trois semaines après leur arrivée : école, garderie. Et souvent tout se passe à merveille ; après tout la collectivité, c’est leur truc ; c’est facile pour eux.

Oui mais !

Attention, adaptation n’est pas synonyme d’adoption. L’adaptation est une question de survie ; mais pour être disponible pour vivre sa vie d’enfant et s’instruire, l’enfant a justement besoin de se libérer l’esprit en sortant de la survie, c’est pourquoi les spécialistes de l’adoption préconisent une longue période en famille avant la collectivité, quel que soit l’âge de l’enfant. Jean-François Chicoine parle de 6 mois voire un an !

En plus, l’adaptation masque souvent des décalages : par exemple, il y a un écart entre l’accent parlé qui peut être totalement acquis, et la compréhension. Vous savez quand on s’adresse à un étranger, et on a l’impression qu’il faut employer des mots simples parce qu’il a un accent à couper au couteau, alors qu’il peut être là depuis 20 ans, mais arrivé trop tard pour perdre son accent ? Eh ben là c’est pareil mais à l’envers.

Bien sûr le concret, va te laver les mains, à table, tu veux encore de la sauce bolo, ça passe. De toute façon avec les gestes et les rituels, on n’aurait pas tant que ça besoin de se parler (des études montrent que moins de 10 % de paroles qu’on prononce dans une journée contiennent des informations utiles, fou, non ?).


Mais le vocabulaire un peu plus précis met longtemps à être acquis, et il n’est pas forcément évident de s’en apercevoir. Tant qu’on ne tombe pas sur le mot hors contexte, ça ne se voit pas. Plusieurs années plus tard, on en démine encore. Pour certains enfants, il peut être nécessaire de chercher une aide professionnelle, notamment auprès d’un orthophoniste, pour passer certains caps ou de façon plus pérenne.

Les nombreuses références qui émaillent nos paroles : citations, paroles de chansons, publicités, dictons… ne s’acquièrent évidemment que par l’expérience, qui se cumule elle aussi sur des années.
Enfin, l’implicite est terrible. Ce n’est pas réservé aux enfants adoptés : tous les enfants risquent de passer à côté. Mais les enfants adoptés ont encore moins de repères. Par exemple Amie vient vous rendre visite. Forts des recommandations, vous expliquez tout bien : Amie va arriver tel jour on va la chercher à la gare, elle va dormir ici et on va faire ça et ça, on ne se balade pas tout nu dans le salon quand elle est là OK ? Ça se passe super. Et quand Amie repart chez elle, c’est le drame. Ben quoi, elle n’était pas là pour toujours ? Elle est venue avec juste un petit sac certes, mais après tout l’enfant est arrivé chez vous avec juste ses vêtements, alors pourquoi pas ? On n’explicite jamais trop.

Au global, certains disent qu’il faut attendre la moitié du temps que les enfants ont vécu en collectivité pour voir une adaptation complète. D’autres disent autant de temps… ça fait long, surtout pour un enfant arrivé grand !

Dans ses livres, Johanne Lemieux souligne à la fois la nécessité de prendre le temps et celle de réagir rapidement si on sent que « ça ne le fait pas », pour dépister d’éventuels troubles de l’attachement.

Ceci étant dit, il est très compliqué de rester en vase clos pendant des mois, surtout avec un enfant de plus de 3-4 ans : aucune activité, aucune compagnie pendant la journée puisque tous les autres enfants sont à l’école : dur pour tout le monde ! Heureusement ce n’est pas du tout ou rien ; chacun trouvera sa solution avec ou sans école, de façon progressive ou allégée…

Et puis il y a les autres

Quand 5 ans après l’adoption, quelqu’un que vous venez de rencontrer vous dit très gentiment : « ça va, il s’est bien adapté ? »…

Quand votre tante, à qui vous racontez en rigolant les dernières frasques de votre ado arrivé il y a 15 ans vous dit « quand même, l’adoption c’est pas naturel »…

Quand tous les commentaires que vous entendez sur une ministre qui a été adoptée quand elle avait six mois sont en lien avec ses origines…

 
Vous réalisez que si votre enfant s’est bien adapté, le monde autour de lui n’en a pas fait autant. A lui/elle d’en prendre son parti avec autant de philosophie que possible… Mais pensons bien que de lui dire « Pour moi c’est comme si tu avais toujours été là », en voulant l’assurer par-là de l’absolu de notre amour parental, n’est pas forcément conforme à sa réalité !

Qu'en pensez-vous ?

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