« Un fil rouge invisible relie ceux qui sont destinés à se rencontrer et ce, indépendamment du temps, de l'endroit ou des circonstances. Le fil peut s'étirer ou s'emmêler, mais il ne cassera jamais… »
On a tous entendu parler en adoption de la légende du fil
rouge, légende populaire d’Asie. Ce fil
relie deux être destinés à s’aimer, quelle que soit la distance ou même les
différences de richesses qui les séparent.
On retrouve la première trace écrite de cette légende en Chine sous la dynastie Tang (618-907) dans le recueil de contes Xu You Guailu de Li Fuyan.
On retrouve la première trace écrite de cette légende en Chine sous la dynastie Tang (618-907) dans le recueil de contes Xu You Guailu de Li Fuyan.
Première version écrite de la légende :
Un beau soir, un jeune voyageur nommé Wei Gu de passage dans la ville de Songchen descendit dans une auberge pour la nuit. Devant l’entrée et sous le clair de lune il y rencontra un vieillard. Ce vieil homme était appuyé contre un sac en toile et consultait un livre étrange. Intrigué, Wei Gu l’interrogea, lui demandant ce qu’il y cherchait. Le vieillard lui répondit que ce livre contenait toutes les unions matrimoniales du monde. Il ajouta que le sac de toile contre lequel il était appuyé contenait des fils de soie rouge qui, une fois attachés aux pieds de deux personnes, les vouent à être époux, et ce quelle que soit la distance sociale ou géographique qui les sépare actuellement, même si leur familles sont ennemies jurées. Wei Gu lui demanda alors qui serait sa femme. Le vieillard lui répondit qu’il s’agissait de la petite fille de la marchande de légume. Pensant qu’il se moquait de lui, Wei Gu monta se coucher.
[Le lendemain, curieux, Wei Gu allât tout de même jeter un coup d’œil à l’étal de la vieille marchande de légumes. Il fût vexé de voir que la jeune fille était assez laide, il la poussa alors qu’elle passait à côté de lui avant de s’éclipser, énervé et honteux.
Bien des années plus tard, il épousa une jolie jeune femme et, comme le veut la tradition, il ne découvrit son visage que le soir du mariage. Elle avait une mouche entre les deux sourcils, intrigué, Wei Gu lui demanda pourquoi. Elle lui répondit que lorsqu’elle était petite un voyou l’avait faite tomber sur le front et qu’elle en avait gardé une cicatrice. Wei Gu réalisa que c’était lui le voyou dont elle parlait et que le vieil homme avait raison. Il lui confessa son histoire, qui parvint jusqu’au préfet de Songchen. Celui-ci décida de renommer l’auberge « l’auberge des fiançailles » et le vieillard sous la lune fut rapidement connu de tous. Wei Gu et sa femme, comprenant que leur union était prédestinée, décidèrent de ne jamais se disputer.
Cette histoire connait de nombreuses variantes, notamment à cause des différentes traductions. Le vieillard sous la lune est quant à lui considéré comme un dieu, son anniversaire est célébré le jour de la fête de la mi-automne (ou fête de la lune), le quinzième jour du huitième mois lunaire.
Credit photo fan de
manga
On retrouve également une variante de cette légende dans les
cas d’adoption d’enfants, notamment ceux d’origine chinoise. Certains parents
adoptifs déclarent que leur rencontre avec leur enfant n’est pas le fruit du
hasard, certains évoquent même la légende du fil rouge, étendue aux liens
familiaux.
Quand les liens se créent facilement, on est tenté de croire
qu’il ne pouvait en être autrement. Peut-être a-t-on besoin de trouver un sens à
une procédure éprouvante et longue.
On vit effectivement dans une période de la maitrise, du
contrôle des événements : on contrôle son poids, on contrôle ses émotions,
on vise une perfection avec dans la parentalité des parents qui s’exposent sur
les réseaux sociaux après avoir fait des ateliers Montessori, dans du coton bio
sans aucune exposition à des écrans, et avec des enfants qui restent coiffés et
propres ( !) toute la journée. Et ce peut être relativement culpabilisant que ce n'est pas notre cas.
C'est paradoxal de parler de fil rouge finalement : le fil
rouge implique qu'on laisse faire le destin. Que, d'une manière ou d'une autre,
sans rien faire, on serait destinés à se trouver... Sauf que, en adoption, le
destin est quand même bien aidé : on choisit de se lancer dans une procédure
(on n'est pas obligé), on cherche un chemin, on s'active. Prenons un exemple :
envoyer un dossier en Chine, lorsqu'on souhaite une petite fille chinoise, ce
n'est plus trop du hasard à ce stade.
En Adoptie, il existe une somme de choses que l’on ne peut
maitriser : ni les coups politiques de certains pays qui conduisent à des
fermetures provisoires, ni les vacances de l’employé de l’administration qui
vient de recevoir notre dossier légalisé sur son bureau, ni surtout les origines
et les circonstances de rencontre de nos enfants adoptés. Aller vers
l'adoption, c'est aussi aller au hasard à la rencontre de quelqu'un,
finalement, exactement comme une grossesse biologique, qui est le hasard de
milliards de combinaisons possibles (même si en adoption comme en biologie, on
a des éléments prédéfinis et choisis l’âge, l’état de santé, pays versus choix
du partenaire, état de santé, origines).
Donc certains diraient qu'il y a bien une histoire de "destinée" et donc de fil rouge...
Donc certains diraient qu'il y a bien une histoire de "destinée" et donc de fil rouge...
Et ce qu’on ne maîtrise pas, c’est douloureux. Pourtant la
maitrise des événements ne permet pas d’éviter les écueils, les désillusions, les
émotions comme la tristesse.
Cette histoire de fil rouge résonne aussi en nous parce
qu’elle donne une espèce de continuité à l’histoire de nos enfants, qui peuvent
parfois avoir l’impression d’une brisure de leur vie, et se demander
« mais si… mes parents avaient eu de l’argent, si je n’avais pas été
trouvé par la police, si… ». Et on voudrait tellement leur éviter la douleur
de ces questions stériles. Après tout, est-il davantage un hasard d’être adopté
quelque part que d’être né quelque part ?
« Ce qui
ressemble au hasard souvent est un rendez-vous » chante Francis Cabrel
dans sa chanson Mademoiselle l’Aventure.
On a d'un côté un "hasard" et des éléments
finalement très maîtrisés (le projet, le pays).
Donc parler de fil rouge, c'est quelque part nier que l'on a
une responsabilité dans la construction de cette histoire. Croire au fil rouge,
c’est se donner peut-être l’impression de n’avoir pas souffert pour rien, d’un
côté comme de l’autre. C’est raconter une douce histoire à l’oreille de son
enfant, mais n’est-ce pas aussi une façon de nier la responsabilité de
chacun ? Est-on prédestiné à ouvrir son cœur à l’autre ou est-ce une
attitude volontaire ? Quelles conséquences pour l’enfant de se construire
avec une sensation encore plus forte que chacun de nous, d’avoir été le jouet
du destin ?