« Les
enfants sont formidables, ils s’adaptent si vite ! »
C’est vrai que les enfants sont
formidables, et surtout nos enfants adoptés, qui sont des survivants, des
guerriers. Bon, en même temps, ils n’ont pas trop le choix, hein ?
Au bout de deux heures, ils ont
investi toutes les pièces de la maison. Au bout de deux jours, ils répondent à
leur nouveau prénom. Au bout de deux semaines, ils papotent avec les copains
sans complexe. Au bout de six mois, personne ne peut croire qu’ils ne parlaient
pas un mot de français six mois auparavant.
Ils s’adaptent tellement bien
qu’on pourrait être tenté de prendre un rythme « normal » trois
semaines après leur arrivée : école, garderie. Et souvent tout se passe à
merveille ; après tout la collectivité, c’est leur truc ; c’est
facile pour eux.
Oui
mais !
Attention, adaptation n’est pas
synonyme d’adoption. L’adaptation est une question de survie ; mais pour
être disponible pour vivre sa vie d’enfant et s’instruire, l’enfant a justement
besoin de se libérer l’esprit en sortant de la survie, c’est pourquoi les
spécialistes de l’adoption préconisent une longue période en famille avant la
collectivité, quel que soit l’âge de l’enfant. Jean-François Chicoine parle de
6 mois voire un an !
En plus, l’adaptation masque souvent
des décalages : par exemple, il y a un écart entre l’accent parlé qui peut
être totalement acquis, et la compréhension. Vous savez quand on s’adresse à un
étranger, et on a l’impression qu’il faut employer des mots simples parce qu’il
a un accent à couper au couteau, alors qu’il peut être là depuis 20 ans, mais
arrivé trop tard pour perdre son accent ? Eh ben là c’est pareil mais à
l’envers.
Bien sûr le concret, va te laver
les mains, à table, tu veux encore de la sauce bolo, ça passe. De toute façon avec
les gestes et les rituels, on n’aurait pas tant que ça besoin de se parler (des
études montrent que moins de 10 % de paroles qu’on prononce dans une
journée contiennent des informations utiles, fou, non ?).
Mais le vocabulaire un peu plus
précis met longtemps à être acquis, et il n’est pas forcément évident de s’en
apercevoir. Tant qu’on ne tombe pas sur le mot hors contexte, ça ne se voit
pas. Plusieurs années plus tard, on en démine encore. Pour certains enfants, il
peut être nécessaire de chercher une aide professionnelle, notamment auprès
d’un orthophoniste, pour passer certains caps ou de façon plus pérenne.
Les nombreuses références qui
émaillent nos paroles : citations, paroles de chansons, publicités,
dictons… ne s’acquièrent évidemment que par l’expérience, qui se cumule elle
aussi sur des années.
Enfin, l’implicite est terrible.
Ce n’est pas réservé aux enfants adoptés : tous les enfants risquent de
passer à côté. Mais les enfants adoptés ont encore moins de repères. Par
exemple Amie vient vous rendre visite. Forts des recommandations, vous
expliquez tout bien : Amie va arriver tel jour on va la chercher à la
gare, elle va dormir ici et on va faire ça et ça, on ne se balade pas tout nu
dans le salon quand elle est là OK ? Ça se passe super. Et quand Amie
repart chez elle, c’est le drame. Ben quoi, elle n’était pas là pour
toujours ? Elle est venue avec juste un petit sac certes, mais après tout
l’enfant est arrivé chez vous avec juste ses vêtements, alors pourquoi
pas ? On n’explicite jamais trop.
Au global, certains disent qu’il
faut attendre la moitié du temps que les enfants ont vécu en collectivité pour
voir une adaptation complète. D’autres disent autant de temps… ça fait long,
surtout pour un enfant arrivé grand !
Dans ses livres, Johanne Lemieux
souligne à la fois la nécessité de prendre le temps et celle de réagir
rapidement si on sent que « ça ne le fait pas », pour dépister
d’éventuels troubles de l’attachement.
Ceci étant dit, il est très
compliqué de rester en vase clos pendant des mois, surtout avec un enfant de
plus de 3-4 ans : aucune activité, aucune compagnie pendant la journée
puisque tous les autres enfants sont à l’école : dur pour tout le
monde ! Heureusement ce n’est pas du tout ou rien ; chacun trouvera sa
solution avec ou sans école, de façon progressive ou allégée…
Et
puis il y a les autres
Quand 5 ans après
l’adoption, quelqu’un que vous venez de rencontrer vous dit très
gentiment : « ça va, il s’est bien adapté ? »…
Quand votre tante, à qui vous racontez
en rigolant les dernières frasques de votre ado arrivé il y a 15 ans vous
dit « quand même, l’adoption c’est pas naturel »…
Quand tous les commentaires que
vous entendez sur une ministre qui a été adoptée quand elle avait six mois sont
en lien avec ses origines…
Vous réalisez que si votre enfant
s’est bien adapté, le monde autour de lui n’en a pas fait autant. A lui/elle
d’en prendre son parti avec autant de philosophie que possible… Mais pensons
bien que de lui dire « Pour moi c’est comme si tu avais toujours été
là », en voulant l’assurer par-là de l’absolu de notre amour parental,
n’est pas forcément conforme à sa réalité !
Qu'en pensez-vous ?
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