Je voulais partager quelques notions abordées par le Dr Chicoine, pédiatre reconnu dans le monde de l’adoption, lors de sa conférence pour EFA34 sur l’estime de soi.
J’espère ne pas trahir ses propos !
Il faut déjà vous raconter que c’est un très bon orateur, qui a mis le public à l’aise et attentif dès le départ. Il parle bien, on sent qu’il maitrise son sujet mais il sait le transmettre avec des touches d’humour, et quelques exemples à l’appui.
Sur le fond, il entre dans le vif du sujet dès les 1ers mots : « on peut survivre sans amour, on ne peut survivre sans attachement. » Et la théorie de l’attachement s’appuie aujourd’hui sur des données neuroscientifiques (biologie, imagerie cérébrale). L’attachement c’est l’apprentissage de la relation de confiance, cela fait appel à l’affectif et apaise le stress des enfants.
La fenêtre d’attachement des 2, 3 premières années de vie est primordiale, mais il existe des occasions de remédiation cognitives tout au long de l’enfance que l’on n’exploite pas assez.
Dans le développement de l’estime de soi, il y a plusieurs étapes :
-Le nourrisson doit survivre à travers l’autre, il doit donc séduire sa mère. Si ne séduit pas assez, cela va générer un surplus de stress avec possible en péril de la relation avec l’adulte. Certaines pathologies génétiques vont donner moins d’appétence à ces enfants pour l’attachement alors que d’autres le tabac ou la drogue dans les derniers mois de grossesse et notamment le SAF (syndrome d’alcoolisation fœtale) vont donner plus d’appétence aux enfants.
-Vers 12 mois les bébés se régulent dans leurs relations avec l’adulte et commencent à vivre des petites frustrations « je viens et je repars » en commençant à essayer de se détacher de l’adulte.
-Vers 18-21 mois apparait le développement de la mémoire, de la représentation : c’est l’expérience du monde ou le modèle opérant interne.
-Apres 2 ans, l’enfant a une conscience de soi assez égocentrique. Et jusque 3 ans et demi, il apprend à réguler ses émotions, c’est ce que les anglo-saxons appellent le « terrible two ».
-Entre 3 ans et demi et 7 ans, les enfants vont aller cers l’autre, c’est l’intersubjectivité, ils sont plus à même de voir avec empathie l’autre. Ils ont aussi développé leurs capacités et compétences sociales.
-7 ans c’est l’âge de début de l’estime de soi, où l’enfant a suffisamment de recul sur les expériences positives ou négatives pour apprécier la suite et les répercussions de ces conséquences. Avant 7 ans il faut donc faire l’impossible pour atteindre cette maturité.
Dans nos sociétés on demande beaucoup aux enfants avant 2ans et demi, alors qu’ils ne sont pas toujours capables, cela peut générer une mise en échec à l’âge de 7/8 ans lorsque l’enfant n’a pas suffisamment développé son estime de soi. Les enfants adoptés ont été insuffisamment remplis, et non pas insuffisamment punis par manque de relation et peuvent développer une mésestime de soi, qui n’est pas liée à la génétique ou au fait de venir de loin. Il faut alors se mettre à genoux en tant qu’adultes pour les remplir. On a plus de temps en adoption pour travailler parce que par ailleurs ils ont souvent des retards de développement. Il faudra en général la moitié de l’âge chronologique de l’enfant à son adoption pour sécuriser l’attachement. La meilleure arme de remédiation affective est le congé parental de longue durée.
Pour protéger nos enfants adoptés de cette mésestime de soi, il faut éviter la mise en échec, il faut les nourrir de succès par des compétences dans d’autres domaines que le scolaire, le sport, le dessin, la musique. Le risque c’est d’avoir un très gros programme mais ils apprendront alors beaucoup par le parascolaire le but étant d’avoir des éléments de succès. Apres 8 ans il ne faut pas faire redoubler les enfants pour éviter la mise en échec. Il est d’ailleurs bien plus important d’avoir des amis que d’avoir des bonnes notes scolaires, c’est beaucoup plus important pour l’estime de soi et sa construction.
Il faut parfois faire appel pour passer la main à des intervenants extérieurs, AVS pendant le temps scolaire, éducateur pour les devoirs à la maison, les psychomotriciens et ergothérapeutes etc.
Souvent en adoption, il n’y a pas de problème d’intelligence des enfants mais des déficits dans l’attention, la motivation, leurs autonomies ou leur responsabilisation qui vont modifier les résultats de tests de capacité : on sous-estime alors leurs capacités cognitives.
Il faut éviter les punitions, les humiliations puisque les enfants adoptés y sont aguerris. Il faut discipliner avec bienveillance pour ne pas nuire à l’estime de soi, avec si l’enfant reconnait son erreur, la possibilité de piocher une conséquence comme aider à faire la vaisselle dans un pot à conséquence fait pour, ou s’excuser auprès de lui s’il n’a pas pu avouer sa faute parce que notre question d’adulte était alors trop compliquée pour lui. Pas de fessée : 1/3 des enfants (indépendamment de l’adoption) ne sont pas suffisamment sécurisés dans leurs attachements, les gifles et fessées peuvent alors détruire l’estime de soi de ces enfants (c’est pour protéger ces enfants-là que la loi au Québec interdit les punitions corporelles et non pour les autres 2/3 qui sont capables de les supporter).
Dans l’adoption on note une plus grande tendance à l’impulsivité, à la dérégulation du mouvement, à la désinhibition (TDA trouble de l’attention +/- H avec hyperactivité). 7% de TDAH (atteinte de plus de 2 domaines pendant plus de 6 mois pour faire le diagnostic), dont 50% à 2/3 seront à traiter pendant une courte période, 1/3 n’auront besoin que de mesures adaptatives.
A noter que les enfants ayant présenté un épisode de malnutrition dans l’enfance auront des raisons cognitives à une mésestime de soir par atteinte d’une partie du cerveau qui normalement sert à l’attention et l’activation de l’abstraction ou flexibilité des idées. Ils sont alors moins bons en maths et en grammaire.
Coté parents, quelle piste pour avancer ?
A noter que l’attachement est le lien de l’enfant vers le parent, quand le parent rentre en lien avec l’enfant, on parle de bonding (NB to bond en anglais veut dire « se rapprocher ».
-D’abord la technique de l’apéro, il faut se rendre disponible 20 min pas plus pas moins c’est physiquement signifiant pour l’enfant. On n’intervient pas, c’est lui qui choisit le jeu et on le laisse se remplir de notre disponibilité. Donc prendre un verre d’apéro avant pour se rendre disponible !
-La technique du « wait, watch and wonder » : on construit une tour chacun coté parent et enfant et on attend que l’enfant demande de l’aide, on n’est pas intrusif, là encore disponibilité physique et psychique.
-Il faut être activant : on doit pouvoir le laisser faire. Par exemple il est très très important que l’enfant ait la capacité de s’endormir seul. Il faut l’y amener mais ne jamais ramener l’enfant dans son lit parental. On peut prendre une chaise à côté de lui dans sa chambre mais on ne doit pas pas exemple toujours le bercer pour l’endormir. Il faut minimiser les objets transitionnels dans le lit : pas de milliers de doudous.
Lorsqu’à l’adolescence l’enfant n’est pas rendu là on aurait aimé les amener, que le manque de confiance est important, avec violence, énurésie, destruction de ce qu’il y a de beau systématiquement, le mise en famille n’est plus la meilleure chose. L’attachement est trop insecure, la brisure est trop grande. Il faut orienter vers un pensionnat ou une famille d’accueil froide avec des réentrées ensuite progressive pour réadapter la situation adoptive.
Le développement cérébral se poursuit jusque 23 ans, donc même ceux qui iront dans la délinquance et la drogue mais qui s’en sortent entre 16 et 23 ans pourront encore accéder à une remédiation cognitive (c’est jusque 23 ans que les neurones du cerveau mâturent avec une myélinisation notamment du corps calleux).
Messages forts de cette conférence à mes yeux:
-se donner tous les moyens de créer un attachement secure pour construire une estime de soi mature
-travailler les succès et éviter les échecs, notamment en dehors de l’école, importance des amis+++++, importance du sport
-éducation bienveillante à favoriser